En tête
d'affiche du dernier concert symphonique, « La voix du
romantisme » à l'Opéra Grand Avignon, le harpiste Emmanuel
Ceysson a révélé, avec une grande fraîcheur et une technique
impeccable, les possibilités immenses de son instrument. Avec
l'Orchestre Régional Avignon-Provence, coaché passionnément par le
chef Samuel Jean, ils ont ensemble donné un concert rare.
Le public
a pu se délecter d'un quatuor de compositeurs français : des
œuvres peu connues de Gabriel Fauré et de Camille Saint-Saëns,
agrémentées de deux ouvrages en marge du répertoire habituel, les
concertos pour harpe et orchestre d'Henriette Renié et de Théodore
Dubois.
Pelléas
et Mélisande de Fauré
Avec la
trop rare suite symphonique, Pelléas et Mélisande de Gabriel Fauré,
l'orchestre entre dans l'intime, avec un mouvement quasi adagio, dans
la profondeur d'une atmosphère délicate et mystérieuse. Les cordes
chantent et vibrent, puis se fondent dans l'orchestre dans un climax
dramatique. Belle apparition du hautbois dans la fileuse qui suit,
dans laquelle s'épanouit l'atmosphère unique de la musique
française. Elle débouche sur la fameuse Sicilienne, calme et pure,
illuminée par la flûte. Dans la mort de Mélisande qui conclut
l’œuvre, l'orchestre impulse une atmosphère tragique, amplifiée
par un immense crescendo qui s'évanouit pour atteindre le silence.
L'orchestre Régional Avignon Provence rend avec beaucoup de saveur,
de couleurs, l'âme de cette suite symphonique impressionniste.
Le
concerto pour harpe d'Henriette Renié
Le
harpiste Emmanuel Ceysson entre en scène avec une envie de jouer non
dissimulée. Il ajuste fébrilement son tabouret, approche la harpe
de son corps, puis la fait reposer sur son épaule. Enfin, il tourne
la tête vers Samuel Jean, acquiesce... Silence. Le concerto pour
harpe et orchestre (composé en 1901) d'Henriette Renié,
concertiste, professeur de harpe et compositeur du début du XXème
siècle, peut couler dans des oreilles neuves. Une vraie découverte.
Emmanuel Ceysson s'y trouve comme un poisson dans l'eau, il s'exprime
avec spontanéité et fraîcheur, sa joie est communicative. Premier
mouvement, le harpiste soutient avec énergie le dialogue avec
l'orchestre dans de beaux élans, comme dans les grands concertos
romantiques. L'andante qui suit débute par la harpe seule. Soutenu
par les cordes, dialoguant avec les vents, le discours, après un
envol passionné, se poursuit dans un calme plus serein. Le final
transporte avec son rythme précipité, entrecoupé de syncopes, de
passages virtuoses et de flots d'arpèges. Emmanuel Ceysson, par son
engagement tout entier, captive l'auditoire et lui fait découvrir ce
concerto attachant, dans lequel la harpe rutile de mille feux.
Le
concerto pour harpe de Théodore Dubois
Après
l'entracte, le harpiste revient pour le concerto pour harpe et
orchestre de Théodore Dubois. Plus court, plus concis, plus
classique, le concerto débute par un solo de cor. La harpe entre en
douceur sur un rythme ternaire, elle dialogue avec le violon solo.
Une sorte de choral entame le mouvement lent, le thème délicat,
énoncé à la harpe, est repris par l'orchestre sous les accords
arpégés de la harpe qui scintille. Il se clôt avec des cordes
perlées d'harmoniques, des notes égrenées lentement, quelques
phrases au violon, arpèges douces. Quelle poésie ! Dubois
termine son concerto en forme de toccata. La harpe mène la danse,
étincelle, dans un bouquet final somptueux. Le public exulte,
Emmanuel Ceysson revient pour un bis de Fauré : une châtelaine
en sa tour, merveille de délicatesse, de sensibilité, où dans des
frémissements de cordes, les harmoniques éclosent comme des bulles
de cristal. Un régal...
La
seconde symphonie de Camille Saint-Saëns et la Pavane de Fauré, en
bis...
Dans la
dernière partie du concert, l'orchestre Régional Avignon-Provence a
choisi la seconde symphonie de Saint-Saëns. Moins connue que la
célébrissime 3ème avec orgue, cette seconde symphonie, composée à
24 ans, révèle une écriture inventive et toujours captivante. Deux
accords fortissimo, puis l'allegro marcato de la symphonie se
poursuit avec énergie, pour aboutir à une fugue. Après un
mystérieux adagio, c'est le galop fantastique du scherzo, puis le
final prestissimo. Samuel Jean mène le discours avec toujours autant
d'énergie, de passion, et l'orchestre dont il est premier chef
invité, est visiblement heureux de vivre intensément ce riche
répertoire. Le public, lui aussi, est partie prenante et fait une
belle ovation à son orchestre avec lequel il vient de découvrir de
superbes œuvres et un jeune harpiste que l'on s'arrache déjà de
par le monde... Et en bis, le chef annonce : « nous avons
commencé par Fauré, nous allons terminer par Fauré ». La
superbe Pavane envahit alors l'espace de son atmosphère de paix et
de douceur. Magnifique.
Commentaires