Photo : Philippe Gromelle
Aucun doute, la ferveur des Chorégiens a plébiscité la magnifique
distribution du second opéra des Chorégies 2015, Il Trovatore de
Verdi. A l’applaudimètre, un quintette se détache nettement :
George Petean (Il conte di Luna), Marie-Nicole Lemieux (Azucena),
Roberto Alagna (Manrico), Hui He (Leonora) et le chef Bertrand de
Billy à la tête de l'Orchestre National de France.
Pour le plus grand plaisir des yeux, le metteur en scène Charles
Roubaud, comme un poisson dans l'eau au Théâtre Antique, puise une
nouvelle fois dans sa fine connaissance des lieux pour offrir un
spectacle captivant.
La scénographie originale de Dominique Lebourges, doté lui aussi
d'une grande expérience in situ, permet aux huit tableaux de l’œuvre
de trouver leur écrin, proposant notamment un second plateau en plan
incliné, situé à quelques mètres au dessus de la scène avec
laquelle il communique par un escalier.
Le dispositif permet de nombreux effets visuels, une plus grande
proximité avec l'auditoire, et même lorsque la scène inférieure
est plongée dans l'obscurité, l'éclairagiste Jacques Rouveyrollis
maintient quelquefois ses projecteurs sur le plateau suspendu,
provoquant ainsi une vision presque irréelle des chanteurs flottant
dans l'espace.
En outre, le grand mur (re)joue son rôle d'acteur incomparable,
grâce aux vidéos parfaitement intégrées de Camille Lebourges. On
y découvre tour à tour des tableaux discrets mais suggestifs, aux
couleurs pastel : les jardins du palais, les voûtes gothiques
du couvent, les flammes du bûcher ou les grilles de la prison.
La costumière Katia Duflot a opté pour une époque plus proche,
adieu l'Espagne du XVème siècle et l'époque du conflit de
succession à la couronne d'Aragon, bonjour la fin les années trente
et guerre civile espagnole, traitée sobrement, et cela fonctionne.
Dès lors les artistes lyriques peuvent entrer en scène...
En ouverture, Nicolas Testé, alias Ferrando le capitaine de la
garde, chante avec autorité et assurance, devant les soldats postés
près de leur lit de camp. Dès le second tableau Hui He (Leonora)
envahit l'espace de sa voix ample et large, et dialogue avec Ludivine
Gombert (Inès sa servante).
Le second acte s'ouvre avec le fameux chœur des bohémiens, tandis
qu'entre une roulotte sur la scène, que le feu du forgeron crépite,
et ses coups de marteaux scandent le rythme. Les chœurs d'Avignon,
Toulon et Nice font merveille à chacune de leur apparition.
Marie-Nicole Lemieux, habitée par Azucena, fait parcourir un frisson
d'effroi lorsqu'elle raconte les morts affreuses de sa mère et de
son enfant. Elle émeut, sa voix profonde sait glacer, figer.
Tellement que le public en oublie d'applaudir, resté coi
d'épouvante.
George Petean, Conte di Luna imposant et implacable, à la voix
prenante et sombre, sait pourtant chanter son amour à Leonora, au
second acte. Le public est sous le charme.
Troisième acte, apparition furtive de Julien Dran, Ruiz. La présence
électrique de Roberto Alagna (Manrico), acteur consommé, donne du
relief à ses interventions, sa voix chère aux Chorégiens, captive
et transporte, et tient toutes ses promesses dans un « Di
quella pira » superbe et vaillant, applaudi à tout rompre.
Quatrième acte tragique, marche funèbre et miserere mettent le cœur
en morceaux, la baguette millimétrée de Bertrand de Billy, toujours
sobre mais efficace, fait chanter l'orchestre de désespoir, comme il
l'a fait hurler de douleur au second acte. Unisson des intentions de
tous les artistes, unisson de bravos unanimes pour célébrer une
réussite largement partagée.
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