Chorégies : Ermonela Jaho, poignante Butterfly



Alors que Butterfly est acculée au suicide, sur les gradins, les milliers de spectateurs restent cois, recevant de plein fouet les ondes puissantes du drame qui s'accomplit sous ses yeux. L'accord final déchirant de l'orchestre assène une dernière salve, comme un coup de poignard dans le cœur du public, scotché aux pierres chaudes du Théâtre Antique. Ainsi s'achève une Butterfly orangeoise totalement inspirée, portée par une distribution de rêve.

Les Chorégiens sont conquis, le triomphe acquis et les larmes vite séchées. Ils ne quittent pas des yeux le plateau sur lequel tout s'est déroulé. Là où la scénographe Emmanuelle Favre a posé sur l’eau des plateaux de bois, entourés de trois Torii, portiques japonais.

Dans cet espace construit, la lumière subtile de Philippe Grosperrin guide l'action. La mise en scène de Nadine Duffaut, qui évite soigneusement d'éclairer le mur pour plus de concentration, est sobre et efficace. Elle plonge les spectateurs dans la tradition japonaise, avec le souci du détail. Les costumes traditionnels, magnifiquement agencés par Rosalie Varda montrent la différence des cultures. Madama Butterfly devient concentré des turpitudes du monde. Huis clos ou règnent incompréhension, indifférence, trahison, lâcheté, misère, solitude, désespoir et mort.

Impossible d'échapper à la fascination de la voix d'Ermonela Jaho, une Butterfly qui dégage une charge émotionnelle exceptionnelle, doublée d'un engagement hors du commun. Elle crève l’écran de notre indifférence, nous oblige à regarder en face le naufrage de son couple. De la fragile Cio-Cio San, éperdument amoureuse qui s’incline devant le dieu de Pinkerton et rompt avec sa famille, jusqu’à la femme délaissée, bafouée, dépouillée par celui qu’elle aime, on la suit, le coeur serré. Une pure merveille.

La Susuki de Marie-Nicole Lemieux, présence rassurante et aimante, joue en sobriété contenue. Mais la confidente explose d’horreur au retour de Pinkerton, alors qu’il projette de partir avec l’enfant. Son jeu juste, ses harmoniques de contralto pénétrantes font vibrer les coeurs, jusqu’au trop plein. Admirable.

Pinkerton, amoureux d’escale, possède une voix de miel. Mais si Bryan Hymel semble avoir quelques difficultés à projeter sa voix, il campe à ravir un Pinkerton inconséquent. Amour qui culmine dans le chaud duo passionné, à la fin du premier acte, où Bryan Hymel hisse la grand voile, sa voix se fond alors avec celle d’Ermonela Jaho. Superbe et brillant.

L’élégant Sharpless, coincé entre deux destins, laisse fuir des accents d’humanité. Marc Barrard assure et assume, sa voix sûre rassure, un modèle d’efficacité. Du grand art. Une même justesse, et projections assurées chez Carlo Bosi, Wojtek Smilek, Christophe Gay, Valentine Lemercier ou Pierre Doyen, respectivement Goro, Il Bonzo, Yamadori, Kate Pinkerton et Commissaire Impérial.

L’Orchestre Philharmonique de Radio France, excellentissime sous la direction éclairée de son directeur musical Mikko Franck, assurant des tempis allants, vibre à l’unisson des solistes et des choeurs. Avec lui les atmosphères extatiques du chœur à bouche fermée, ou les tensions dramatiques sont exaltées, mais à juste mesure. Et Puccini revit, formidablement.


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