Chorégies d'Orange : Un surprenant et jouissif Mefistofele !


Ouverture des Chorégies 2018 avec le Mefistofele de Boito au Théâtre Antique d'Orange (Photo Philippe Gromelle)


Bousculer les certitudes, stopper le ronron des habitudes, et un slogan : « laissez-vous surprendre » voilà le credo de Jean-Louis Grinda, directeur des Chorégies, proclamé pour annoncer sa première programmation.

Et quand un certain Grinda Jean-Louis se colle à la mise en scène, raccord avec ses promesses, cela promet de décoiffer. Surtout avec cet ovni musical du compositeur italien Boito, plus donné aux Chorégies depuis... 1905. Un ouvrage qu’il qualifie d’« immense, grandiose et fascinant ».

Rien moins que le Faust de Goethe dans sa version complète, qui frisait les six heures lors de sa création, à la Scala en 1858, tout juste 160 ans.

Revenu à plus de concision, mais avec un prologue, quatre actes et un épilogue tout de même, l’œuvre revit des heures fastes depuis sa programmation en 2011 à l’opéra de Monte-Carlo par Jean-Louis Grinda, son directeur.

Et le voici au pied du mur ce 5 juillet au soir, pour la première de Mefistofele. Place au spectacle total. La nouveauté est enfin de retour aux Chorégies, le public en salive d’avance, mais la frilosité d’un certain nombre se remarque sur les gradins, moins serrés que d’habitude. Bah, les absents ont toujours tort, non ?

Tout est en place pour un voyage extraordinaire. Les décors de Rudy Sabounghi, la mise en scène de J.L Grinda occupent tout l’espace avec des moyens efficaces : des praticables amovibles, quatre répliques des colonnes du Théâtre Antique mobiles, tandis que les costumes foisonnants de Buki Shiff, les vidéos étonnantes de Julien Soulier et les lumières chatoyantes de Laurent Castaingt régalent les yeux.

La chef et contralto Nathalie Stutzmann fend l’Orchestre Philharmonique de Radio-France, mince silhouette élégante, la première femme à diriger dans le cénacle lyrique orangeois salue, tout sourire. Dès les premières mesures, on remarque son engagement, sa précision, son naturel fédérateur. Elle emmène son monde avec conviction.

Le prologue se passe au ciel. Placés en rangs superposés, les chœurs des armées célestes offrent une vision éclatante d’aubes immaculées au plumage bouffant et vaporeux, qui chantent la gloire de Dieu. Bien vite tout se gâte. Une touche de rouge souille les aubes pures. Mefisto apparaît ! A l’instant, le baryton-basse uruguayen Erwin Schrott galvanise le public, les yeux rivés sur ce bad boy insolent, sarcastique et... diabolique. Style rock star, manteau de cuir au col relevé, bottes et cigare fumant sans cesse. Amour du feu oblige. Sa voix est un bonheur, et on sent qu’il prend plaisir à camper ce dieu des ténèbres. Le voir se pavaner et humilier le vieux Faust est une délectation, hélas mortifère. Jean-François Borras, dont la voix est pure merveille de clarté, tour à tour fervente, passionnée, brisée par le chagrin, illuminée par la foi, donne la dimension humaine au pacte insensé qu’il conclut avec le Malin, dictateur calculateur sans foi ni loi.

Erwin Schrott, Mefistofele insolent, sarcastique et diabolique !


Fin du premier acte, tous deux montent dans une nacelle pour s’envoler dans les airs vers le nouveau monde. Mais le diable (le vrai), qui se niche toujours dans les détails, grippe les câbles, et la nacelle se met à pencher dangereusement. Schrott et Borras s’agrippent, alors que l’engin s’immobilise et balance au dessus du vide. La foule se demande si c’est l’effet « laissez vous surprendre ». Pas le temps de dire ouf, la nacelle reprend sa course vers le haut et se cabre encore davantage. Cette fois, ce n’est pas du théâtre, elle penche à 45° et les deux chanteurs, ballottés dans les airs, s’agrippent de toutes leurs forces au bastingage pour ne pas chuter. La foule retient son souffle. A cet instant, Jean-Louis Grinda monte sur scène. A sa vue, le diable stoppe net sa forfaiture, et la nacelle redescend, miraculeusement horizontale, sous les applaudissements du public, soulagé.

Jean-Louis Borras : Faust et Béatrice Uria-Monzon : Marguetite (Photo Philippe Gromelle)

Après ce moment de frayeur, Marguerite entre, alors que l’atmosphère est encore trouble. La mezzo soprano Béatrice Uria Monzon chante avec aisance dans la tessiture de soprano deux rôles : Elle émeut lors de son grand air en Marguerite, et ensuite en Hélène face à la destruction de Troie. Marie-Ange Todorovitch dans le rôle court de Marta, un temps courtisée par Mefisto, est toute présence vocale et scénique. Les courtes apparitions du Wagner de Reinaldo Macias, un peu effacé, comme celle de Valentine Lemercier en Pantalis ont laissé la vedette sans conteste au duo Mefisto-Faust.

Dans cet opéra, les quatre excellents chœurs (Avignon, Nice, Opéra et Maîtrise de Monte-Carlo), donnent un relief étonnant à cette œuvre foisonnante dont la musique n’est pas familière, mais ne demande qu’à le devenir.

Particulièrement bien adaptée à la scène du Théâtre antique, la mise en scène originale, efficace, subtile, mêle les effets de masse spectaculaires aux moments plus intimes avec un égal régal. 

Des tableaux stupéfiants : 

A la fin du premier acte, lorsque les chœurs massés autour de l’orchestre, d’une qualité sonore resplendissante, sont surplombés des rayons du Dieu tout puissant. 

La fête du jour de Pâques, image un défilé des sept péchés capitaux rigolo, coloré et grouillant à souhait. 

L’affrontement entre Mefisto et Faust, bâti comme une scène de théâtre réaliste. 

La nuit de Sabbat où Mefistofele escalade un pic devant le grand mur, rouge infernal, traversé de flammèches, et fracasse le globe terrestre au milieu des sorcières. 

Ou encore, l’épilogue lorsque les chœurs reprennent leur géniale montée chromatique vers le ciel, alors qu’une pluie de roses tombe sur Faust promis au ciel, tandis que Mefistofele s’enfuit et retourne vers sa damnation éternelle. 

Spectacle novateur, original, grandiose et surprenant, assurément !







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