Quelles émotions ! Le Théâtre antique bondé vivait et vibrait enfin à nouveau ce samedi soir pour accueillir Samson et Dalila. Quel bonheur de retrouver les Chorégies après un an, Roberto Alagna (6 ans), Marie-Nicole Lemieux (5 ans) et l’opéra du génial Saint-Saëns (43 ans) dans un déconfinement maîtrisé, une joie largement partagée.
Roberto Alagna
l'avait promis en 2015, : “ je reviendrai aux Chorégies si l’on me
propose de chanter Samson “. On comprend pourquoi. Ce rôle tourmenté,
vocalement exigeant, partagé entre amour de Dieu et amour humain, lui va comme
un gant. La voix plus puissante et plus claire que jamais, dans une diction
parfaite, affichant une forme éblouissante qui “crève littéralement l’écran”. Samson-Alagna sait être ferme et
vaillant “Frères brisons nos chaînes”, émouvant dans son duo, lançant à plusieurs
reprises “ Dalila, je t‘aime” ,
déchirant dans ses ultimes implorations à Dieu : “ Daigne pour un instant Seigneur, me rendre ma force première ! “.
Marie-Nicole
Lemieux, Dalila de rêve, chante “ Ô mon
bien aimé suis mes pas “ dans une douceur de zéphir. La contralto, au
sommet de son art, donne une version de Dalila résolument amoureuse, moins
manipulatrice et perverse. Ses graves sont présents et impressionnants, mais
volontairement moins diaboliques. Hors du temps, le sublime air “ Mon cœur s’ouvre à ta voix “, dans les
frémissements de l'orchestre, porte tendrement l’amour, le public suspendu à
ses lèvres.
Grand prêtre de
Dagon, le baryton basse Nicolas Cavallier chante avec autorité dans la
plénitude de sa voix. Nicolas Courjal, un vieillard Hébreu, basse vibrant dans
une plénitude sereine. Voix large et profonde de Julien Véronèse, Abimelech.
Tous sont convaincants, comme les trois Philistins, Christophe Berry, Marc
Larcher et Frédéric Caton.
Dans cet opéra,
initialement conçu comme un oratorio, les chœurs tiennent une place
prépondérante. Les chœurs de l’opéra de Monte Carlo et du Grand Avignon ont été
en tous points remarquables par leur intensité et par leur diction impeccable.
Les ballets de Metz et d’Avignon, chorégraphiés par Eugénie Andrin, dans
l’épisode du printemps ou dans la bacchanale ont apporté fraîcheur et
inventivité, sans succomber à une lascivité facile.
L’Orchestre
Philharmonique de Radio-France, survolté par la direction à main nues d’Yves
Abel, s’arc-boutant derrière son pupitre, chantant avec les choeurs, a donné le
meilleur de cette partition extraordinaire, fruit d’un Saint Saëns
quarantenaire, déjà organiste de l’église de la Madeleine depuis vingt ans. Quel
sens de la scène, de l’orchestre, des masses chorales et de l’orientalisme dans
la débridée bacchanale...
Les riches costumes
d’Agostino Arrivabene, magnifiés par les éclairages subtils de Laurent
Castaingt, se découpent sur les images vidéo saisissantes d'Etienne Guiol et
Arnaud Pottier. Le mapping trouve sur le grand mur un écran à sa démesure
(environ 2000 m²) où le temple antique, puis le ballet des étoiles et de la
lune du second acte, les foules en marche descendant vers la scène en se diluant
et, enfin, l’ombre cornue de Dagon, sont impressionnants. La scénographie
remarquable du directeur-metteur en scène Jean-Louis Grinda, dans une maîtrise
de l’espace, du temps, où les masses se déplacent avec sens, dans une divine
lenteur, reste collée au sens profond de cette histoire biblique. A cet égard,
l’ange aux ailes lumineuses, signe de la volonté et la présence de Dieu tout au
long de l’oeuvre, guide les pas de Samson jusqu’aux colonnes du temple de
Dagon, que dans un dernier appel à son Dieu, il fera s’écrouler sur les
Philistins, dans les cris d’horreur et le fracas de tout l'orchestre.
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