Minuit et 11
minutes, la tant redoutée pluie d’orage tombe sans vergogne sur l’Orchestre de
l’Opéra de Lyon, le chef, Daniele Rustioni, flèche sa baguette vers le sol et
saute de l’estrade. C’est fini, les musiciens mettent vite leurs précieux
instruments à l’abri. Les parapluies fleurissent sans tarder sur les gradins.
Un crève-cœur pour tous alors qu’on est presque à la fin du 3ème acte de La
Forza del Destino de Verdi et que le quatrième...semble hors de portée. Malgré
une tentative de reprise, à 0h40, le directeur Jean-Louis Grinda entre en
scène. Avant qu’il prenne le micro, on entend comme en aparté : “ rien ne nous aura été épargné “ et
annonce à regret l’arrêt du spectacle : “
à cause de la météo défavorable on attend encore de la pluie et même de la
grêle, pour les minutes qui viennent “. Les gradins mouillés se vident, les
chorégiens trempés se tiennent par la main pour ne pas glisser dans les
escaliers.
Quand ça veut pas…
Pourtant les Chorégies ont fait face : Jean-Louis Grinda, a jonglé avec des
remplacements de solistes, l’annulation de deux spectacles dont le très attendu
Liverpool Oratorio de McCartney et avec un budget contraint. l’obligeant à faire
l’impasse sur la mise en scène. Pour adoucir la potion, le directeur avait
trouvé moyen de faire mieux qu’une version de concert, une mise en espace
originale mise en lumière par Vincent Cussey. Il avait aussi imaginé les
projections sur le grand mur avec ses photos de jeune stagiaire des Chorégies
et celles de la guerre d’Espagne, raccord avec l'atmosphère belliqueuse de
l’Opéra.
Cent soixante et
une minutes auparavant, Jean-Louis Grinda avait dédié, avec grande émotion,
cette soirée à la soprano, fidèle des Chorégies, Béatrice Uria-Monzon, décédée
le 19 juillet, à peine 48 h plus tôt. L’orchestre de l’Opéra de Lyon, avait
enchaîné avec la fameuse ouverture de La force du destin. D’entrée l’atmosphère
est plantée, les cuivres à l’unisson imposent le drame, suivis de la houle
fiévreuse des cordes et la beauté calme de la clarinette solo. Le chef Daniele
Rustioni l'avait suggéré : “ en l’absence
de mise en scène, on va pouvoir se concentrer sur la musique ”. Avec lui,
l'orchestre sonne comme jamais au Théâtre antique, impétueux et fougueux. Le
pupitre des cuivres rutile dans une homogénéité rare, les flûtes, piccolo;
bassons, hautbois sont à la fête, les violoncelles chantent, les cordes font
frémir dans des montées chromatiques dantesques.
Dès le premier
acte, le beau phrasé et l’intensité de la romanza me pellegrina ed orfana de la soprano Anna Pirozzi (Leonora) sont
acclamés. Puis dialogue avec avec Curra (mezzo-soprano Julie Pasturaud) et duo
avec un Russel Thomas (qui remplace dans le rôle de Don Alvaro Brian Jagde
souffrant) un peu impressionné par cette scène qu’il foule pour la première
fois, sera délivré et magnifique dans le troisième acte dans sa romanza et sa
cabalette “oh gioia immensa” et dans
ses duos intenses (applaudis) avec Don Carlo, le baryton voix caramel d’Ariun
Ganbaatar. Au second acte, les aigus enchanteurs de Preziosilla (Maria
Barakova) se marient à merveille au superbe chœur de l’Opéra de Lyon, et à la
voix profonde de Michele Pertusi (Marquis de Calatrava et Padre Guardiano).
Sans oublier les rôles de Louis Morvan dans un
chirurgico et de Rodolphe Briand en Trabuco.
Une représentation
mémorable pour sa distribution, son orchestre fabuleux et dont dame nature,
dans sa jalousie maladive, a occulté la fin. Elle laisse libre cours à notre
imagination. Et si, finalement Léonora ne subissait pas la vengeance aveugle de
Don Carlo ? on se sait pas… Ce drame, à Orange, restera en suspens pour
toujours.
Francis Pabst
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