Une atmosphère fort détendue s'étend des fauteuils d'orchestre au
poulailler de l'Opéra Grand Avignon, en l'attente du concert
symphonique, baptisé « America ! ». Au programme,
des œuvres de Copland, Gershwin et Bernstein. De quoi passer un bon
moment dans l'ambiance des rythmes du Nouveau Monde. Le public ne s'y
est pas trompé, il est venu en masse et la salle est comble.
« Nous sommes le vendredi 13 novembre 2015, il
est 20 h 30, et l'avenir semble pour toujours au beau fixe. Avec de
telles gorgées d'optimisme musical en perspective, comment
pourrait-il en être autrement ? ».
La « Music for the Theater » d'Aaron Copland donne
le ton. Un prologue qui débute avec un solo de trompette, suivi
d'une entrée de cordes voluptueuses soutenant un chant au hautbois,
puis c'est l’Amérique et ses rythmes irrésistibles qui entrent en
scène, avant de s'estomper et de laisser à nouveau la parole au
bois soliste, sur un tapis de cordes. Pour, suivre avec quatre
mouvements, Dance, Interlude, Burlesque et Épilogue. Partout on sent
l'atmosphère si caractéristique du début du 20ème siècle, celle
de Stravinsky, de Ravel, de Poulenc et du Paris de Nadia Boulanger.
L'Orchestre Régional Avignon Provence régale son public, son chef
Samuel Jean restitue les ambiances, les rythmes foisonnants avec
justesse et clarté.
Samuel Jean dirige du piano... |
Samuel Jean au piano... |
Changement de décor avec la « Rhapsodie in Blue »
de Gershwin. Le piano est dans l'orchestre et le pianiste tourne le
dos au public. Normal, puisque le pianiste n'est autre que le chef,
Samuel Jean, qui va jouer et diriger en même temps. Pour cette
performance, le chef a tombé la veste. Le fameux glissando de la
clarinette donne le signal du voyage dans le monde en bleu et ses
rythmes jazzy et swingués.
Le piano et l'orchestre s'entendent à
merveille. Rien ne manque et le public est emporté par le dynamisme
de Samuel Jean,
l'engagement de l'orchestre et le lyrisme swing de
Gershwin. Un tonnerre d'applaudissements fuse, le public en
redemande. Samuel Jean livre alors la célèbre mélodie de « Over
the rainbow » dans la version de Keith Jarrett, un bis
lyrique et intime, écouté toutes oreilles tendues dans un silence
impressionnant...
Samuel Jean triomphe dans la Rhapsodie in Blue de Gershwin, à la baguette et au piano |
« Il est 21 h 20, ce vendredi 13 décembre, c'est la joie de se
retrouver à l'entracte, au foyer de l'Opéra. A la même heure, à
Paris, des terroristes kamikazes viennent de se faire sauter près du
stade de France, d'autres sèment la terreur à la terrasse des cafés
et restaurants et à la salle de concert, le Bataclan c'est
l'horreur... ».
« Les portables sont éteints. Dans l'Opéra d'Avignon on ne sait rien du drame qui se noue à
Paris ».
L'Orchestre Régional Avignon Provence débute "Catfish row" de Gershwin |
Samuel Jean donne de sa personne, il danse aussi... |
L'orchestre et le banjo, perché dans la baignoire... |
Samuel Jean, une direction énergique... |
La seconde partie est consacrée à trois danses tirées de la
comédie musicale « On the town » de Léonard
Bernstein. Dans ces « Three dance épisodes »
Bernstein déjante les rythmes du ballet, ravit pas ses atmosphères
intimes. Enfin, la suite orchestrale tirée de l'opéra Porgy and
Bess de Gershwin débute en fanfare avec un festival de cuivres et de
percussions. Tour à tour, il fait planer l'auditoire avec le fameux Summertime dont le thème est énoncé savoureusement par Cordélia
Palm au violon solo, se déhancher avec les thèmes swing qui
défilent, s'étonner à l'inattendu banjo solo perché dans une
baignoire, puis s'enthousiasmer avec toutes les cordes, tous les
bois, les cuivres et enfin tout l'orchestre. Après un climax chaud
bouillant, et un bouquet final électrique, le public tape des pieds,
claque des mains, le succès est là et la joie éclate. En bis, le banjo revient dans la bonne humeur. Oui, la
musique ce soir a donné un plaisir immense à un millier de
spectateurs enchantés.
« Ce bonheur et cette joie furent de
courte durée. Une fois les portables rallumés, la terrible nouvelle
arrivait sous la forme de dizaines de notifications, toutes
abominables. Ces alertes conduisaient aux confins de l'horreur. Les
attaques terroristes de Paris avaient déjà fait des dizaines de
morts, et il y en aurait plus encore, au fil des heures. La
population française, puis mondiale, est sous le choc ».
« Nuit accroché aux infos, samedi
accroché aux infos. Dimanche meurtri: la fille de ma cousine a perdu
son mari, lâchement assassiné au Bataclan ».
« La musique chasse la haine chez
ceux qui sont sans amour. Elle donne la paix à ceux qui sont sans
repos, elle console ceux qui pleurent ».
Pablo Casals
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