Chorégies : Un Guillaume Tell captivant : distribution superbe, mise en scène enchanteresse, orchestre flamboyant...





A la manière d'une célèbre BD, on accède à l'histoire légendaire de Guillaume Tell par la géographie. Les contours de l'Helvétie médiévale se dessinent sur le grand mur, puis par effet de zoom, les sept mille chorégien(ne)s plongent ensemble vers le canton d'Uri, puis Altdorf le village des irréductibles helvètes, enfin apparaissent les sommets alpins et à leurs pieds, les villageois en pleine fête. Elle sera de courte durée, gâchée par l'occupant autrichien, mais un peu de patience, Tell, le héros et ses fidèles les vaincront.

Embarqués dans cette épopée de 210 minutes qui captive de bout en bout, le plaisir des yeux et des oreilles est total. Grâce à une distribution de rêve à l'Orchestre philharmonique de Monte-Carlo et des chœurs somptueux. Grâce à une mise en scène sobre et efficace de Jean-Louis Grinda, ambiancée par des vidéos sépia sur le mur et sur la scène totalement raccord. Au cours des quatre actes, on passe successivement de la campagne à la forêt profonde, de la place publique au lac des Quatre Cantons avec le même soin du détail, le souci de restituer une atmosphère, entre ombre et lumière, sans esbroufe ni boursouflures.


Le ton est donné par l'orchestre, dès les premières mesures de l'ouverture, confiée au violoncelle. Une originalité incroyable. La projection du son est d'une clarté absolue. Sous la baguette étonnamment dépouillée et concise de Gianluca Capuano, le courant passe avec les musiciens, sensibles aux moindres gestes et attitudes du maestro, compris des seuls initiés.

Dès le premier acte, le ténor Cyrille Dubois (Ruodi, un pêcheur) entre en scène dans un air exposé "Accours dans ma nacelle timide jouvencelle" aux aigus parfaitement maîtrisés. Entre à sa suite le baryton Nicola Alaimo (Tell), voix chaude et affirmée : " quel fardeau la vie, pour nous plus de patrie ", puis le basse Philippe Kahn (le vieux berger Melchtal) aux harmoniques profondes. Le ténor Celso Albelo (Arnold) grimpe brillamment aux sommets de sa tessiture (Ô Mathilde je t'aime) Puis avec la soprano Nora Gubish (Hedwige épouse de Tell) et avec les chœurs  (Opéra Grand Avignon et Monte-Carlo) omniprésents tous chantent le doux pays natal (célébrons ce beau jour le travail, l'hymen, l'amour). La soprano Jodie Devos (Jemmy) s'envole aux dessus de tous et fait entendre son timbre lumineux avec aisance.

La soprano Annick Massis (Mathilde) entre sur un cheval blanc aux yeux bleus. Elle chante la forêt triste et sauvage. Bravos. Bravis fusent. Au dialogue d'amour entre Mathilde et Arnold, très intense, suit l'annonce de la mort de Melchtal, père d'Arnold, tué par les autrichiens. Rien ne va plus, l'amour est brisé. Surgissent les méchants occupants, le ténor Philippe Do (Rodolphe) et le basse impérial Nicolas Courjal (le gouverneur). Tout se joue sur la place.La chorégraphie Eugénie Andrin, avec le ballet de l'Opéra Grand Avignon fait virevolter les jeunes villageoises au gré de la fantaisie des soldats. Nicolas Cavallier, baryton-basse (Furst) soutient d'une voix forte les conjurés. Quant à Tell, avant de tirer le carreau d'arbalète, il redoute de tuer son fils et noue alors avec lui un dialogue émouvant (Songe à ta mère, elle nous attend tous les deux). Le héros réussit l'épreuve imposée, il coupe en deux la pomme placée sur la tête de son fils. Nicola Alaimo sait émouvoir, sait aussi tonner avec conviction, d'une voix large et ample. Bravos.


L'opéra recèle de vrais joyaux. Au fil de l'oeuvre, le duo intense Mathilde-Arnold du 3ème acte où se défait leur amour (je reste pour venger mon père) où la force vitale d'Annick Massis et les suraigus brillants de Celso Albelo déclenchent les ovations. Le quintette tendu alors que Gessler veut emporter Jemmy, où la pression est extrême. La belle expressivité, tout en retenue, de l'air d'Arnold "Asile héréditaire" plébiscité. Le trio séraphique de femmes au bord du lac, précédant la victoire finale où tous chantent en chœur la liberté retrouvée.

Comme l'an dernier avec Mefisofele, puis cette année avec Guillaume Tell, les Chorégies ont décidé résolument de sortir des sentiers battus pour révéler au public des merveilles. Un défi relevé et gagné, plébiscité par une belle fréquentation et des ovations enthousiastes, renouvelées et méritées.



(Photos : Philippe Gromelle)

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