" À notre
époque, c'est sans conteste l'homme réactionnaire qui gagne, notre
temps est celui du triomphe du Commandeur " affirme le
metteur en scène Davide Livermore. Son imagination, quitte à
offusquer, (le refus du changement n'est-il pas lui aussi
réactionnaire, semble t-il dire ?) ose le choc des époques et prend
le parti de Don Giovanni. Celui de la liberté sans entraves,
s'autorisant transgressions et défis. Pêle-mêle, taxi à moteur à
explosion (pas électrique ?) et diligence à cheval, pistolets et
épées, tenues d'hier et d'aujourd'hui (de Rudy Sabounghi)
cohabitent. Montrer ainsi la permanence du mythe de Don Juan fait
mouche. Sa violence envers les femmes se fait plus pertinente. Et à
l'époque de "Balance ton porc" et de "Me
too" n'en devient que plus insupportable. Le Commandeur,
débarquant en gros 4x4, encadré de sbires aux lunettes noires et
pistolets, caricature le pouvoir absolu. Cette démonstration
visuelle, au service d'une seule question, posée par Leporello,
après le duel entre Don Giovanni et le Commandeur : " qui
est mort ? vous ou le vieil homme ? " et qui semble hanter
Livermore. Le doute existe bien. L'ancien et le nouveau monde restent
immuables...
L'atmosphère de ce
"drame joyeux" a été magnifiquement rendue par des
projections plus raffinées que jamais sur le grand mur, grâce aux
lumières d'Antonio Castro et des vidéos de D-Wok. Orage et nuages
noirs, rougeurs de sang, palais somptueux, ciels étoilés au travers
d'ouvertures imaginaires, photos des conquêtes du catalogue ou
encore quartiers abandonnés aux tags sauvages, aux dates
célébrissimes et tristement rapprochées : 27/01/1956 - 05/12/1791…
Contrairement à la
mise en scène qui a essuyé quelques sifflets, les chorégien(ne)s
ont réservé un triomphe sans réserve aux chanteurs, aux chœurs de
l'opéra de Monte Carlo et d'Avignon et à l'Orchestre de l'Opéra de
Lyon et au continuo de Mathieu Pordoy. Embarqués sous la baguette
incroyablement proche de Frédéric Chaslin, dirigeant sans
partition, chantant et faisant corps avec l'orchestre, magnifique de
clarté, de souplesse, de vitalité, ne débordant jamais les
solistes, les chorégien(ne)s vibrent, heureux. L'utilisation du
proscenium autour de l'orchestre les ravit davantage, les artistes
chantant à quelques pas des gradins.
A de nombreuses
reprises des bravos ont fusé, à l'issue des airs attendus : Là ci
darem la mano, l'air du champagne, trio des masques, quatuor,
sextuor… Erwin Schrott (Don Giovanni) a séduit (forcément) grâce
à ses talents d'acteur, sa voix puissante et charmeuse. Le basse
Adrian Sâmpetrean, Leporello joyeux et malin, vocalement superbe.
Remarqué et largement applaudi, le ténor Stanislas de Barbeyrac,
doué d'une forte présence scénique, d'une voix exceptionnelle, a
donné une belle épaisseur à Don Ottavio. Comme la soprano
Mariangela Sicilia, Donna Anna de caractère, voix dramatique et
prenante. La mezzo-soprano Karine Deshayes, après avoir fait sourire
dans le trio du balcon, est longuement applaudie pour l'air
dramatique "Mi tradi quell’alma ingrata". Le duo
Zerlina-Masetto réussit à la mezzo-soprano Annalisa Stroppa et au
baryton-basse Igor Bakan, tous deux excellents et convaincants. Quant
au Commandeur, Alexei Tikhomirov, sa voix forte et imposante,
implacable, glace bien le sang de Don Juan (et des spectateurs) :
" Don Giovanni ! Change de vie, c'est le dernier moment ! ".
A son refus sarcastique répondent la terreur et les flammes de
l'enfer.
Photos Philippe Gromelle
Don Giovanni aux
Chorégies d'Orange, dernière représentation le 6 août à 21h30.
04 90 34 24 24
ww.choregies
Commentaires