Le festival itinérant Rosa Musica, créé par le quatuor Girard, a posé ses valises pour un soir à Beaumes de Venise, au Domaine viticole du Rocher des Dames, le 9 août dernier. Il n’était pas venu seul, mais avait invité Thomas Bloch, l’un des rares instrumentistes à jouer du Glass harmonica.
Mais qu’est donc cet harmonica de verre exactement ? : “ Il ne s’agit pas de l’harmonica que nous connaissons, qui a été créé en 1820, mais d’un instrument imaginé et réalisé en 1761 par le célèbre inventeur et scientifique Benjamin Franklin (inventeur du paratonnerre). Il est composé de coupelles de verre alignées représentant chacune une note. Ainsi j’ai 37 coupelles qui représentent trois octaves. Le nom d’harmonica vient de la richesse harmonique développée par les verres de l’instrument. En fait, l’harmonica de verre reproduit ce que tout le monde a fait un jour chez soi avec des verres, en mouillant son doigt et le faisant tourner sur le bord du verre, un joli son cristallin apparaît “ détaille Thomas Bloch : “ sur mon instrument, les coupelles tournent grâce à un moteur électrique, je pose donc mon doigt mouillé sur une ou plusieurs coupelles pour obtenir un son ou un accord. Elles sont maintenant en quartz, car le cristal contient du plomb et, autrefois, les instrumentistes pouvaient se contaminer en jouant, et ils étaient souvent atteints de saturnisme, ce qui a valu la désaffection de l’instrument, accusé de rendre les gens fous. C’est tout récemment (1982) que cet instrument, reconstruit grâce à un maître verrier étasunien, a retrouvé le chemin des concerts “.
Dans le soir qui tombe, le tout nouveau théâtre de verdure circulaire concocté pendant trois ans par Corinne, Jean-Luc Bernard et sa famille, propriétaire de vignes et de gîtes, accueille sur une toute petite scène, le quatuor Girard et Thomas Bloch. Le programme est éclectique et comporte des classiques : Mozart et Beethoven, de la musique de film : Casanova de Nino Rota, mais également un quartetto étrange de Benjamin Franklin lui-même. Le public, dans lequel se trouvent de nombreux jeunes enfants, est intrigué et attend les premiers sons avec impatience. Mais avant de commencer, Thomas Bloch, qui a déjà joué plus de 3000 concerts dans 40 pays, se tourne vers une cuvette remplie d’eau et se lave les mains, asperge également les coupelles de verre, condition sine qua non pour que le verre chante, puis s'installe, assis, tend les bras vers les verres et y pose les doigts.
Un son limpide, cristallin, aérien, ténu, s’élève de cet instrument confidentiel, étrange. D’abord en solo, le public, bouche bée, déguste chaque note avec délectation. Ce son venu d’ailleurs dialogue ensuite à la perfection avec le quatuor Girard dans des œuvres souvent lentes et profondes. Pour reposer les doigts de Thomas Bloch, le quatuor joue superbement en solo l’Ode à Ste Cécile de Haendel dans une version de Mozart, puis le célébrissime adagio d’Albinoni, et celui de la sonate Clair de Lune de Beethoven. En final, l’orgue angélique, comme le surnommait Paganini, joue un rondo gai et enjoué de Carl Maria von Weber, un univers de douceur et de paix. En bis, le quintette offre un rondo de Johann Reichardt. Soudain, le second violon se lève, criant et se débattant. Stupeur, un frelon lui tourne autour ! Une raquette électrique vient à bout du téméraire insecte. Finalement, toutes les lumières sont éteintes et le concert se termine dans une intimité, pleine de sérénité retrouvée.
Francis Pabst
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